« … pour que soit dit et inscrit que nous sommes regardés, ouverts, transformés par ce que nous voyons. » Georges Didi-Huberman
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Ce que vous fixez attentivement paraît vous fixer alternativement, de là viennent la vraie et la fausse intensité de la nature. Gérard Manley Hopkins.
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Voir c’est pour Rilke, d’abord accepter l’expérience – le risque, l’épreuve, le dessaisissement – d’être regardé par ce qu’on voit. D’en être concerné, transformé, impliqué, blessé, révélé, bref ouvert jusqu’au cœur. Georges Didi-Huberman
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Il me paraît impossible d’apprendre à voir. Voir, c’est se révéler dans les choses ; et qui n’est pas mort à soi-même, qui n’a pas tué sa première figure, ne peut voir. Il est malgré lui l’expérience et la victime d’une vision, en apparence confortable et rassurante ; croyant atteindre et toucher le réel qui l’entoure, il retombe sur sa propre figure prisonnière du monde, de la forme qui souffre, sans douleur et sans conscience, comme un paysage gelé sur quoi rien ne pousse.
Raphaële George
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L’absence a cet étrange corps de brûlure et d’insoutenable que lui confère son essence même. Poser une main sur un objet n’est en aucun cas le présentifier. Il faut de longs silences, une immobilité totale, pour que cette partie aérienne des objets vienne au rendez-vous de la présence. Raphaële George
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Les forêts ne sont que très rarement sombres. Notre âme doit être déjà d’une humeur bien sombre pour recevoir de la forêt une impression de tristesse. Même une pluie persistante, surtout elle, n’assombrit pas les forêts, ou alors c’est qu’elle assombrit tout. Le soir, oh, comme les forêts sont alors pleines de charme ! Quand, survolant le vert foncé des arbres et des clairières, les nuages prennent un rouge vif et un rouge foncé et que le bleu du ciel est si extraordinairement profond ! Alors, pour celui qui regarde et qui vient d’arriver, la rêverie est une obligation programmée depuis longtemps. Alors l’homme ne trouve plus rien beau, parce que c’est beaucoup trop beau pour ses sens. Il se laisse donc, impuissant et saisi comme il l’est par l’émotion, regarder par le profondément beau plutôt qu’il ne le regarde lui-même. Le rôle du regard est alors inversé, permuté. Robert Walser
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Ici, Hadaly prit, dans l’ombre, la main de lord Ewald :
― Si tu savais comme ils s’efforcent de transparaître, autant que possible, pour l’avertir et augmenter sa foi, fût-ce au moyen des Terreurs de la Nuit ! ― comme ils se vêtent, au hasard, de toutes les opacités illusoires qui peuvent renforcer demain le souvenir de leur passage ! ― Ils n’ont pas d’yeux pour regarder ?… N’importe ; ― ils te regardent par le chaton d’une bague, par le bouton de métal de la lampe, par une lueur d’étoile dans la glace. ― Ils n’ont pas de poumons pour parler ?… Mais ils s’incarnent dans la voix du vent plaintif ; dans le craquement du bois mort d’un meuble ancien, dans le bruit d’une arme qui tombe, soudainement, alors, faute d’équilibre… (car il est une Prescience qui permet éternellement !) Ils n’ont pas de formes ni de visages visibles ? ils s’en figurent un avec les plis d’une étoffe, ils s’accusent dans la tige feuillue d’un arbuste, dans les lignes d’un objet, et se servent ainsi des ombres pour s’incarner, te dis-je, en tout ce qui vous entoure, au mieux de la plus intense sensation qu’ils doivent laisser de leur visite.
Et le premier mouvement-naturel de l’Âme est de les reconnaître, en et par cette même terreur sainte qui les atteste.
Villiers de l’Isle Adam
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Ainsi serait la vie: pleine de choses tout étranges, destinées à un seul et qui ne se laissent pas dire. Rilke
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Étrange région des “Mères” chère à Faust, où tout est en formation, transformation, déformation, tout en restant immobile, où les créatures existantes et possibles contiennent, inerte, toute l’énergie subversive de l’atome”. Brassaï
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Il faut se faire les yeux d’abord et graduellement à l’autre lumière. Van Gogh à Théo
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Car dès l’enfance
on nous retourne et nous contraint à voir l’envers,
les apparences, non l’ouvert, qui dans la vue
de l’animal est si profond. Rilke
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Il faut y croire pour le voir … Rendez-vous à l’évidence.
Stanislas Rodanski
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MOLOKAI
Nous sommes au bas de la falaise et, plus bas, les toits de la léproserie luisent dans le vide.
Nous arriverons bien à descendre, mais nous n’aurons jamais le temps de remonter les falaises avant la nuit.
Aussi nous revenons par la forêt, avançons parmi des arbres aux longues aiguilles bleues.
Quel silence ici ! un silence comme si l’épervier allait venir.
C’est une forêt qui pardonne tout mais pourtant n’oublie rien.
Damien, par amour, avait choisi la vie et l’oubli. On lui donna les honneurs et la mort.
Mais nous voyons ces événements du mauvais côté : un tas de cailloux au lieu de la tête de sphinx. Tomas Tranströmer
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Tout ce que j’ai perdu de la transparence du feu
et de la beauté violente des êtres
Se cache dans les pierres je le devine aux mots effacés
qui affleurent sur certaines d’entre elles parfois
Selon le pointillé des étoiles
Certain que la roche sous mes pas se brise
avec le crissement léger du givre
Je voyage sur la brume la plus dense
celle qui fait le lit granitique de la mémoire
Où les draps noués de l’amour sont des fées
endormies de filer sans cesse la rosée
Pour perpétuer les miroirs
Au dernier quartier du rêve sur un visage d’eau nue
Une pierre tombée du temps
Blanche s’écrit pour elle seule
Un très ancien jardin de Perse
J’ai aimé dans le mi-clos des vérandas
La lumière infirme qui seule révèle
les très lentes danseuses de fumée
Comme assurées de leur fragilité extrême
elles sont venues par le jeu des cloisons de bruine
déjouer les partitions du jour
Elles ont laissé dans ma voix
un fléchissement couleur d’étang mort
qui sème l’ombre parmi les mots
Jacques Lacomblez
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Il est certain que ‘l’attitude optique’ est, rigoureusement parlant, une attitude intellectuelle en face de l’optique et que le ‘rapport de l’œil au monde’ est en réalité un rapport de l’âme au monde de l’œil. E. Panofsky
*
Ce que je vois d’un point de vue formel n’est autre que la modification de certains détails au sein d’une configuration participant au type général de couleurs, lignes et volumes qui constitue mon univers visuel. E. Panofsky
*
… le jour où j’ai commencé à voir… car avant je voyais à travers l’écran, c’est-à-dire à travers l’art du passé … peu à peu, j’ai vu un peu sans cet écran et le connu est devenu l’inconnu, l’inconnu absolu. Alors, ça a été l’émerveillement et en même temps, l’impossibilité de le rendre. Giacometti
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Avant la guerre, j’avais l’impression d’une stabilité des choses. Aujourd’hui, plus du tout. Le monde m’étonne chaque jour de plus en plus. Il devient ou plus vaste ou plus merveilleux, plus insaisissable, plus beau. Le détail me passionne, le petit détail, comme l’œil dans un visage, ou la mousse sur un arbre. Mais pas plus que l’ensemble, parce que comment faire la différence entre le détail et l’ensemble ? Ce sont les détails mêmes qui font l’ensemble… qui font la beauté d’une forme. Giacometti
*
Platon
SOCRATE
N’est-ce pas la mémoire et la sensation qui donnent toujours naissance à l’opinion et aux efforts que nous faisons pour en discerner les objets ?
PROTARQUE
Certainement si.
SOCRATE
Or ne faut-il pas reconnaître que, dans la formation de nos opinions, les choses se passent de la manière suivante ?
PROTARQUE
De quelle manière ?
SOCRATE
Il arrive souvent, quand un homme a aperçu de loin quelque objet qu’il ne distingue pas nettement, qu’il veuille juger ce qu’il voit. Ne le crois-tu pas ?
PROTARQUE
Je le crois.
SOCRATE
Alors ne s’interroge-t-il pas ainsi ?
PROTARQUE
Comment ?
SOCRATE
Qu’est-ce que peut bien être ce qui apparaît debout près du rocher sous un arbre ? N’est-ce pas, à ton avis, la question qu’il se pose à lui-même, en apercevant certains objets de cette nature qui frappent ainsi la vue ?
PROTARQUE
Certainement.
SOCRATE
Est-ce qu’ensuite notre homme, se répondant à lui-même, ne pourrait pas se dire : « C’est un homme », et tomber juste ?
PROTARQUE
Assurément si.
SOCRATE
Il pourrait aussi se tromper et, croyant que c’est l’œuvre de certains bergers, appeler image ce qu’il aperçoit.
PROTARQUE
Parfaitement.
SOCRATE
Et s’il avait quelqu’un près de lui, il exprimerait par la parole ce qu’il s’est dit à lui-même et le répéterait à haute voix à son compagnon, et ce que nous avons appelé opinion deviendrait ainsi discours.
PROTARQUE
Naturellement.
SOCRATE
Mais supposé qu’il soit seul, quand il a cette idée en lui-même ; il se peut qu’il marche assez longtemps avec cette idée dans la tête.
PROTARQUE
Assurément.
SOCRATE
Mais voyons : es-tu du même avis que moi sur ce qui arrive en pareil cas ?
PROTARQUE
Quel est ton avis ?
SOCRATE
Mon avis, c’est que notre âme ressemble alors à un livre.
PROTARQUE
Comment cela ?
SOCRATE
La mémoire, d’accord avec les sensations, et les sentiments qui en dépendent, me paraissent alors écrire pour ainsi dire des discours dans nos âmes, et, quand le sentiment écrit la vérité, il en résulte qu’une opinion vraie et des discours vrais se forment en nous ; mais quand ce secrétaire intérieur y écrit des choses fausses, c’est l’opposé du vrai qui se produit.
PROTARQUE
Je suis tout à fait de ton avis, et j’admets ce que tu viens de dire.
SOCRATE
Alors admets encore un autre ouvrier qui se trouve en même temps dans notre âme.
PROTARQUE
Quel ouvrier ?
SOCRATE
Un peintre, qui, après le secrétaire, peint dans l’âme les images des choses exprimées par la parole.
PROTARQUE
Comment et quand cela se produit-il, selon nous ?
SOCRATE
Quand, à la suite d’une vision ou de quelque autre sensation, on emporte alors avec soi une opinion, pensée ou parlée, et qu’on voit en quelque sorte en soi-même les images de ce que l’on a pensé ou dit. N’est-ce pas là ce qui se passe en nous ?
PROTARQUE
Si vraiment.
SOCRATE
Est-ce que les images des opinions vraies et des discours vrais ne sont pas vraies, et celles des faux, fausses ?
PROTARQUE
Parfaitement.
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C’est un homme ou une pierre ou un arbre qui va commencer le quatrième chant. Quand le pied glisse sur une grenouille, l’on sent une sensation de dégoût; mais, quand on effleure, à peine, le corps humain, avec la main, la peau des doigts se fend, comme les écailles d’un bloc de mica qu’on brise à coups de marteau; et, de même que le cœur d’un requin, mort depuis une heure, palpite encore, sur le pont, avec une vitalité tenace, ainsi nos entrailles se remuent de fond en comble, longtemps après l’attouchement. Tant l’homme inspire de l’horreur à son propre semblable! Peut-être que, lorsque j’avance cela, je me trompe; mais, peut-être qu’aussi je dis vrai. Isidore Ducasse
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Car supposons, par exemple, que quelqu’un fasse quantité de points sur le papier à tout hasard, comme font ceux qui exercent l’art ridicule de la géomance. Je dis qu’il est possible de trouver une ligne géométrique dont la notion soit constante et uniforme suivant une certaine règle, en sorte que cette ligne passe par tous ces points, et dans le même ordre que la main les avait marqués. Et si quelqu’un traçait tout d’une suite une ligne qui serait tantôt droite, tantôt cercle, tantôt d’une autre nature, il est possible de trouver une notion, ou règle, ou équation commune à tous les points de cette ligne, en vertu de laquelle ces mêmes changements doivent arriver. Et il n’y a, par exemple, point de visage dont le contour ne fasse partie d’une ligne géométrique et ne puisse être tracé tout d’un trait par un certain mouvement réglé. Leibniz
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… chaque substance singulière exprime tout l’univers à sa manière, et […] dans sa notion tous ses événements sont compris avec toutes leurs circonstances et toute la suite des choses extérieures. […] Car elle exprime, quoique confusément, tout ce qui arrive dans l’univers, passé, présent ou avenir, ce qui a quelque ressemblance à une perception ou connaissance infinie. Leibniz.
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Il n’est pas exclu que ce que nous prenons pour le monde extérieur soit notre monde intérieur retourné comme une chaussette. Lewis Mumford
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L’objectivité est constitutive de la subjectivité même de l’état de conscience, de par l’intentionnalité. À l’inverse, et tout aussi justement, on peut parler de l’intentionnalité des apparences et de leur subjectivité intrinsèque. Tout objet, du moment qu’il paraît, indique un sujet et, si tout acte subjectif possède un objet intentionnel, tout objet qui paraît a, de même, un sujet intentionnel. Hannah Arendt
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Mais les ténèbres sont elles-mêmes des toiles
Où vivent, jaillissant de mon œil par milliers,
Des êtres disparus aux regards familiers.
Baudelaire
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… la singulière faculté d’apercevoir, ou plutôt de créer, sur la toile féconde des ténèbres tout un monde de visions bizarres. Cette faculté, chez les uns, agit parfois sans leur volonté. Mais quelques autres ont la puissance de les évoquer et de les congédier à leur gré. Baudelaire
*
… de même que les étoiles voilées par la lumière du jour reparaissent avec la nuit, de même aussi toutes les inscriptions gravées sur la mémoire inconsciente reparurent comme par l’effet d’une encre sympathique.
Baudelaire
*
Frissonnant et cherchant un refuge, je tirai un nouveau carton à peine commencé, une feuille de papier gris tendue sur châssis d’au moins huit pieds de haut et large à l’avenant. On n’y pouvait rien voir que l’ébauche d’un premier plan avec un pin rongé par le temps de chaque côté du motif à représenter … Pour m’occuper un peu et peut-être aussi pour secouer mes pensées, je me mis à exécuter avec une plume de roseau l’un des deux arbres esquissés au charbon, curieux de voir quel serait le résultat. Mais à peine avais-je dessiné une demi-heure et revêtu quelques branches de leurs aiguilles uniformes que je me perdis dans une profonde distraction et, l’esprit absent, je fis quelques menus traits dans les marges, comme lorsqu’on essaie sa plume. À ce griffonnage s’ajouta peu à peu un tissu infini de traits de plume que j’élargissais chaque jour, en laissant vagabonder mes pensées, quand je voulais me remettre au travail ; cette horreur finit par couvrir la plus grande partie de ma feuille, comme une énorme toile d’araignée grise. Pourtant, si l’on regardait de plus près ce brouillamini, on y découvrait une continuité et une application des plus louables, car cette suite ininterrompue de traits de plume et de courbes, qui couvrait peut-être la longueur de milliers d’aunes, formait un labyrinthe qu’il était possible de suivre d’un bout à l’autre. Par places se révélait une nouvelle manière, en quelque sorte, une nouvelle époque de mon travail. Des modèles et des motifs nouveaux émergeaient, souvent délicats et séduisants, et, si la somme d’attention, de savoir-faire et de persévérance qu’impliquait cette mosaïque insensée avait été consacrée à un véritable ouvrage, j’aurais certainement produit quelque chose d’intéressant. Ça et là seulement se découvraient des empâtements plus ou moins sensibles, certains enchevêtrements dans les démarches errantes de mon âme distraite et douloureuse, et toute la peine que prenait ma plume pour se tirer d’embarras prouvait combien ma conscience rêveuse était prise dans ce réseau. Ainsi passèrent les jours et les semaines et, pour toute diversion quand j’étais chez moi, je suivais des yeux la course des nuages, le front appuyé à la fenêtre, je contemplais leurs formes, tandis que mes pensées vaguaient au loin.
Gottfried Keller
*
Lorsque nous croyons voir d’autres objets, nous ne voyons que nous-mêmes. Nous ne pouvons vraiment rien connaître du monde hormis nous-mêmes et les transpositions qui se passent en nous. Lichtenberg
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…. Le petit écran nommé rétine, lieu de rencontre entre le monde objectif et le monde subjectif. Max Ernst
*
… Tâchant de restreindre toujours davantage ma propre participation active au devenir du tableau, afin d’élargir par là la part active des facultés hallucinatoires de l’esprit, je parvins à assister comme en spectateur à la naissance de toutes mes œuvres… Homme de « constitution ordinaire » (j’emprunte ici les termes de Rimbaud), j’ai tout fait pour rendre mon âme monstrueuse. Nageur aveugle, je me suis fait voyant. J’ai vu. Et je me suis surpris amoureux de ce que je voyais, voulant m’identifier avec lui… J’ai vu, de mes yeux, reculer les apparences du monde et j’en ai éprouvé une joie calme et féroce.
Max Ernst
*
Me trouvant par temps de pluie dans une auberge au bord de la mer, je fus frappé par l’obsession qu’exerçait sur mon regard irrité le plancher dont mille lavages avaient accentué les rainures. Je me décidai alors à interroger le symbolisme de cette obsession et, pour venir en aide à mes facultés méditatives et hallucinatoires, je tirai des planches une série de dessins, en posant sur elles, au hasard, des feuilles de papier que j’entrepris de frotter à la mine de plomb. En regardant attentivement les dessins ainsi obtenus, les parties sombres et les autres de douce pénombre, je fus surpris de l’intensification subite de mes facultés visionnaires et de la succession hallucinatoire d’images contradictoires se superposant les unes aux autres avec la persistance et la rapidité qui sont le propre des souvenirs amoureux.
Max Ernst
*
Qu’est-ce que le collage ? L’hallucination simple, d’après Rimbaud, la mise sous whisky marin, d’après Max Ernst. Il est quelque chose comme l’alchimie de l’image visuelle. Le miracle de la transfiguration totale des êtres et objets avec ou sans modification de leur aspect physique ou anatomique…. Qu’est-ce que le principe du collage ? Je suis tenté d’y voir l’exploitation de la rencontre fortuite de deux réalités distantes sur un plan non-convenant… en paraphrasant et en généralisant la célèbre phrase de Lautréamont … ou, pour user d’un terme plus court, la culture des effets d’un dépaysement systématique, selon la thèse d’André Breton.
Max Ernst
*
Permettez-moi de mentionner brièvement Werner Heisenberg dont la conférence… nous a annoncé … la fin (provisoire d’après lui) de toute science de la nature comme telle, depuis qu’il est devenu évident que les seules méthodes possibles d’investigation des particules infimes influent et modifient les résultats. À la science de la nature se substitue ainsi une science des réactions provoquées par les méthodes d’observation. Là où l’homme espérait surprendre les mystères de la nature, il ne voit que sa propre image reflétée dans le miroir. Cela ne vous rappelle-t-il pas cette image de l’infini que Picabia nous proposait : deux miroirs placés l’un en face de l’autre, dans le vide ?
Max Ernst
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Me trouvant par un temps de pluie dans une ville au bord du Rhin, je fus frappé par l’obsession qu’exerçaient sur mon regard irrité les pages d’un catalogue illustré où figuraient des objets pour la démonstration anthropologique, microscopique, psychologique, minéralogique et paléontologique. J’y trouvais réunis des éléments de figuration tellement distants que l’absurdité même de cet assemblage provoqua en moi une intensification subite des facultés visionnaires et fit naître une succession hallucinatoire d’images contradictoires, images doubles, triples et multiples, se superposant les unes aux autres avec la persistance et la rapidité qui sont le propre des souvenirs amoureux et des visions de demi-sommeil. Ces images appelaient elles-mêmes des plans nouveaux, pour leurs rencontres dans un inconnu nouveau (le plan de non-convenance). Il suffisait alors d’ajouter sur ces pages de catalogue, en peignant ou en dessinant, et pour cela en ne faisant que reproduire docilement ce qui se voyait en moi … pour obtenir une image fidèle et fixe de mon hallucination. Max Ernst
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Nous devons être continuellement à l’affût des choses, dans leur changement et leur permanence : pétales qui se dispersent au vent, feuilles, lumière, torrents, mais aussi cailloux, falaises, tronc d’arbres morts ou vivants … C’est là l’œil du poème… mais pour y parvenir, il faut être vide.
Propos prêté à Bashô
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La vérité est dans le glissement d’une illusion dans l’autre. Et c’est justement cela que nous devons sentir puis rendre : ce glissement d’un aspect du monde à un autre aspect plus secret mais tout aussi précaire. Quand on arrive à ce tremblement des choses, c’est comme une brume sur un paysage … une émotion sur un visage … Propos prêté à Bashô
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Il y a les choses qui passent et les choses qui durent. Il y a la fleur et il y a la montagne. Mais les montagnes elles-mêmes à la fin seront réduites à l’état de grains de sables … Voilà ce que ressent le poète et qu’il doit faire sentir.
Propos prêté à Bashô
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Au cœur de la poésie il y a l’émotion… Au cœur de l’émotion, il y a notre perception de ce qui passe et de ce qui reste… Et au-delà encore de l’immuable et de l’éphémère, il y a la perception de leur principe commun… Car l’immuable et l’éphémère sont comme un homme tantôt couché, tantôt en mouvement. Dans son sermon, un patriarche de la Chine disait : « Pour celui qui ignore le zen, une montagne est une montagne. Pour celui qui a étudié le zen, une montagne n’est pas une montagne. Pour celui qui a réalisé le zen, une montagne est une montagne … » Tout est dans ces mots.
Propos prêté à Bashô
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Souvent dans l’être obscur habite un Dieu caché ;
Et comme un œil naissant couvert par ses paupières
Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres.
Gérard de Nerval
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… les images du côté opposé de l’œil. Edward Münch
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Qui que vous soyez, vous avez en vous une prunelle fixée sur l’Inconnu.
Victor Hugo
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Comment faire la différence entre le détail et l’ensemble ? Ce sont les détails mêmes qui font l’ensemble, qui font la beauté d’une forme.
Alberto Giacometti
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… Céder à cette merveille d’espoir qui est de faire surgir de la totale absence la présence réelle de l’être aimé…
André Breton
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… de remarquables dispositions … qui consistent à pouvoir changer, en le fixant, un objet quelconque en n’importe quoi… Une image dite eidétique … très nette, présentant une grande minutie dans les détails et affectée de la couleur même de l’objet. Cette image serait changeante à l’infini…
André Breton
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Celui qui photographie se contente de découper dans la réalité une portion d’espace dont il déclare qu’elle recueille, sous forme d’images en métamorphose, l’image de tout le reste. Il est comme l’augure des anciennes croyances qui, à l’aide de son bâton, trace dans le sable ou le ciel une sorte de carré immatériel et déclare qu’il s’agit de l’écran où se projette le grand spectacle de l’univers…
D’après Philippe Forest
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Il vérifie alors, fragmentairement il est vrai, du moins par lui-même, que « tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas », et tout ce qui est en dedans comme ce qui est en dehors. Le monde, à partir de là, s’offre à lui comme un cryptogramme…
André Breton
*
La transmutation complète suivie d’un acte pur comme celui de l’amour, se produira forcément toutes les fois que les conditions seront rendues favorables par les faits donnés : accouplement de deux réalités en apparence inaccouplables sur un plan qui en apparence ne leur convient pas.
Max Ernst
*
Veut-on y voir clair, qu’il faut voir double.
Annie Lebrun
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Les objets de la réalité n’existent pas seulement en tant que tels : de la considération des lignes qui composent le plus usuel d’entre eux surgit – sans même qu’il soit nécessaire de cligner des yeux – une remarquable image-devinette avec laquelle il fait corps et qui nous entretient, sans erreur possible, du seul objet réel, actuel, de notre désir.
André Breton
*
… l’absurdité même de cet assemblage provoqua en moi une intensification subite des facultés visionnaires et fit naître une succession hallucinante d’images contradictoires, images doubles, triples et multiples, se superposant les unes aux autres avec la persistance et la rapidité qui sont le propre des souvenirs amoureux et des visions de demi-sommeil.
Max Ernst
*
La seule imagination nous rend compte de ce qui peut être.
André Breton
*
L’œil existe à l’état sauvage.
André Breton
*
… que nos yeux, nos chers yeux, reflétassent ce qui, n’étant pas, est pourtant aussi intense que ce qui est.
André Breton
*
Nous avons fait vœu d’être au ciel deux oiseaux qui n’ont qu’une paire d’ailes et sur terre deux branches enlacées d’un même arbre.
Bai Juyi
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« mitate » en japonais : technique de la double vision.
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… chez moi dans la multitude pétrée. Paul Celan
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Novalis
Les hommes vont de multiples chemins. Celui qui les suit et qui les compare verra naître des figures qui semblent appartenir à cette grande écriture chiffrée qu’on entrevoit partout : sur les ailes, la coquille des œufs, dans les nuages, dans la neige, dans les cristaux et dans la conformation des roches, sur les eaux qui se prennent en glace, au dedans et en dehors des montagnes, des plantes, des animaux, des hommes, dans les lumières du ciel, sur les disques de verre et les gâteaux de résine qu’on a touchés et frottés, dans les limailles autour de l’aimant et dans les conjonctures singulières du hasard. On pressent que là est la clef de cette écriture merveilleuse, sa grammaire même ; mais ce pressentiment ne veut prendre aucune forme précise et arrêtée, et il semble vouloir se refuser à devenir la clef dernière.
*
Quand il (le Maître) fut plus âgé, il alla ici et là, visita d’autres paysages, considéra d’autres mers, respira un air nouveau ; il vit des étoiles étrangères, examina des plantes, des animaux, des hommes inconnus ; il descendit au fond des cavernes, vit quelles couches bariolées, quelles stratifications achevaient la structure terrestre, il moula, en l’y pressant, de la glaise dans les formes curieuses des rochers. À présent, il retrouvait partout des choses connues – mêlées seulement et appariées étrangement – et ainsi, souvent, des choses s’ordonnaient d’elles-mêmes en lui, extraordinaires et rares. De bonne heure, en tout, il remarquait les combinaisons, les rencontres, les coïncidences. Il finit par ne plus voir rien isolément. Les perceptions de ses sens se pressaient en grandes images colorées et diverses : il entendait, voyait, touchait et pensait en même temps. Il se réjouissait à assembler les choses étrangères. Tantôt les étoiles étaient des hommes, tantôt les hommes des étoiles, les pierres des animaux, les nuages des plantes ; il jouait avec les forces et les phénomènes ; il savait où et comment trouver ceci et cela, et il pouvait le laisser apparaître ; et c’est ainsi qu’il touchait lui-même aux cordes profondes, cherchant sur elles et s’approchant des sons purs et des rythmes.
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Celui … qui veut faire sienne cette culture de la Nature … qu’il aille dans l’atelier de l’artiste, qu’il écoute partout la poésie, inattendue, de toutes choses ; et que jamais il ne se lasse de contempler la Nature et de la fréquenter, qu’il suive ses indications partout et ne dédaigne, si elle lui fait signe, aucune démarche pénible, même s’il lui faut passer par des fonds de boue ; il trouvera sûrement d’indicibles trésors … L’intuition, en celui qui s’est arraché de tout et qui s’est fait une île de soi-même, l’intuition ne se lève pas d’elle-même, ni sans difficulté … Une longue et perpétuelle fréquentation, une contemplation libre et artiste, toute l’attention donnée aux moindres signes et aux indices les plus légers, une vie intérieure de poète, des sens exercés, une âme simple et religieuse, telles sont les choses exigées essentiellement d’un amant de la Nature et à défaut desquelles nul n’accomplira son désir.
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– oui ! l’on pourrait dire que la Nature danse !
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C’est aussi que les plantes sont le langage tout immédiat du sol, que chaque feuille nouvelle, chaque fleur en elle-même est un certain secret qui veut se dire et qui, n’arrivant pas à trouver le mouvement et les mots de son amour et de son désir, se fait plante muette et en repos.
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L’univers est à l’infini une articulation de mondes qui toujours se rattachent à un monde plus grand.
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… L’esprit de l’universelle poésie, c’est-à-dire le Hasard qui permet qu’éternellement et romantiquement se rencontrent les formes perpétuellement et infiniment changeantes de la vie intégrale.
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Nous rêvons de voyages à travers l’univers – Mais l’univers n’est-il pas en nous ? Nous ne connaissons pas les profondeurs de notre esprit – Le chemin mystérieux va vers l’intérieur. En nous et nulle part ailleurs est l’éternité avec ses mondes – le passé et le futur ». « L’auto-extériorisation est la source de tout abaissement, et autant au contraire la cause de toute véritable élévation. Le premier pas sera le regard vers l’intérieur, la contemplation isolante de notre Soi. Celui qui s’arrête à ce point a fait la moitié du chemin. Le second pas doit être un regard efficace vers le dehors, l’observation active, soutenue du monde extérieur. Novalis
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Il regardait sans cesse dans l’océan de l’air ; et ne se lassait point d’admirer sa clarté, ses mouvements, ses nuages, ses lumières. Il rassemblait des pierres, des fleurs, des insectes de toute espèce, et les plaçait de mille façons diverses, en lignes devant lui. (…) Peu à peu, il rencontra partout des objets qu’il connaissait déjà, mais ils étaient étrangement mêlés et appariés, et ainsi, bien souvent, d’extraordinaires choses s’ordonnaient d’elles-mêmes en lui. Il remarqua bientôt les combinaisons qui unissaient toutes choses, les conjonctures, les coïncidences. Il ne tarda pas à ne plus rien voir isolément. En grandes images variées se pressaient les perceptions de ses sens. Il entendait, voyait, touchait et pensait en même temps. Il aimait à réunir des étrangers. Tantôt les étoiles lui semblaient des hommes, tantôt les hommes des étoiles, les pierres des animaux, les nuages des plantes. Il jouait avec les forces et les phénomènes. Novalis
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Un jour, – c’était avant que l’enfant fût entré dans notre cercle – il devint tout à coup adroit et joyeux. Triste, il s’en était allé, il ne revenait pas ; et la nuit s’avançait. Nous étions fort inquiets. Soudain, au lever de l’aurore, nous entendîmes sa voix en un bosquet voisin. Il chantait un chant joyeux et sublime. Nous étions étonnés. Le Maître jeta du côté de l’aurore un regard comme je n’en verrai jamais plus. Le chanteur fut bientôt parmi nous, et, une béatitude indicible peinte sur le visage, nous apportait une humble pierre d’une forme singulière. Le Maître la prit dans sa main, embrassa longuement son disciple, puis il nous regarda, les yeux mouillés de larmes, et mit cette pierre à un endroit vacant parmi les autres pierres, là tout juste, où, comme des rayons, plusieurs lignes se rencontraient. Novalis
*
Dans les Cahiers de Freiberg (de Novalis) il est question de la « pierre infinie », rassemblant en elle toutes les combinaisons minéralogiques possibles, pierre parfaite donc, mais qui surgit dans le conte sous la forme d’une « humble pierre d’une forme singulière ». Laurent Margantin
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… Les objets sans forme et sans vie se prêtaient eux-mêmes aux calculs de mon esprit ; – des combinaisons de cailloux, des figures d’angles, de fentes ou d’ouvertures, des découpures de feuilles, des couleurs, des odeurs et des sons je voyais ressortir des harmonies jusqu’alors inconnues. – Comment, me disais-je, ai-je pu exister si longtemps hors de la nature et sans m’identifier à elle ? Tout vit, tout agit, tout se correspond ; les rayons magnétiques émanés de moi-même ou des autres traversent sans obstacles la chaîne infinie des choses créées ; c’est un réseau transparent qui couvre le monde et dont les fils déliés se communiquent de proche en proche aux planètes et aux étoiles.
Gérard de Nerval
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Le rêve qu’on a en soi on le retrouve hors de soi.
Vous êtes la fenêtre dans l’inconnu.
Nous n’avons que le choix du noir.
Victor Hugo
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Dans certains états de l’âme presque surnaturels, la profondeur de la vie se révèle tout entière dans le spectacle, si ordinaire qu’il soit, qu’on a sous les yeux. Il en devient le Symbole.
Baudelaire
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Il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel, Horatio, qu’il n’en est rêvé dans votre philosophie.
Hamlet
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Comment le regard peut-il écarter les mots ? En déchirant, lui aussi, le voile : le vêtement nominatif qui fait, de chaque chose, le nom de cette chose … Le regard ne s’éveille que dans le dépaysement, le désir ou l’amour, ou bien dans l’acte conscient de se regarder lui-même. Dans cet acte-là, le regard aperçoit son trajet et son volume, et du coup il se découvre élément et substance … prolongement co-substantiel du corps… Alors, on peut parler de toucher du regard, de pénétration.
Bernard Noël
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Que voit-on quand on voit ?
Bernard Noël
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Parfois le regard s’arrête, et il écarte les mots. Alors la chose paraît. Bernard Noël
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Dès que la vue discerne son propre mouvement, elle cesse d’être un simple vecteur d’information traversant sans le voir un espace neutre, et la voilà qui développe une sorte de toucher intime. Le rapport visuel change évidemment de qualité puisque le regard porte ainsi l’intériorité vers le dehors. Bernard Noël
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Les formes … sont un appelant pour le regard dont elles éveillent, ou non, la curiosité. Si elles y réussissent, le regard leur fournit aussitôt le supplément d’espace et de volume qui leur manque de sorte que les voilà pourvues d’une réalité à proportion de leur pouvoir d’illusion. Bernard Noël
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L’image, si concrète soit-elle, ou si « réaliste », n’est pourtant qu’une chose mentale.
Bernard Noël
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Le catalogue des formes est infini : aussi longtemps que chaque forme n’aura pas trouvé sa visibilité, de nouvelles images continueront de naître.
D’après Italo Calvino
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On ne voit pas tout ce que l’on regarde. Dali
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Le monde familier que scrutaient avec myopie les cubistes pour en tirer des objets parmi les plus rapprochés de l’œil et pour les maçonner dans leurs architectures savantes, ils n’y donnèrent plus beaucoup de regard, mais en revanche, ils contemplèrent le mur (les murs), et ils y découvrirent tous les éléments nécessaires à la plus large représentation du monde extérieur. Ils rentrèrent en possession de l’espace, ils reprirent la liberté de mouvement, ils furent remis en contact avec l’air, le ciel, les lointains.
André Pieyre de Mandiargues.
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… goût de chercher dans les ramages d’une étoffe, dans les nœuds du bois, dans les lézardes des vieux murs, des silhouettes qu’on parvient aisément à y voir.
André Breton
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Les formes que, de la terre, aux yeux de l’homme prennent les nuages ne sont aucunement fortuites, elles sont augurales.
André Breton
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Tant il est vrai qu’on ne trouve que ce dont on éprouve en profondeur le besoin et quand bien même un tel besoin ne trouverait à s’assouvir que de manière toute symbolique.
André Breton
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Tous les phénomènes extérieurs doivent devenir explicables à titre de symboles et de résultats derniers des phénomènes intérieurs.
J.W. Ritter
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Les nouvelles associations d’images que c’est le propre du poète, de l’artiste, du savant, de susciter ont ceci de comparable qu’elles empruntent pour se produire un écran d’une texture particulière, que cette texture soit concrètement celle du mur décrépi, du nuage ou de tout autre chose : un son persistant et vague véhicule, à l’exclusion de tout autre, la phrase que nous avions besoin d’entendre chanter.
André Breton
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Chacun porte en lui le somnambule dont il est lui-même le magnétiseur. Franz von Baader
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On quitte le domaine de la conscience volontaire pour entrer dans celui de l’activité automatique, dans la région où le corps organique se comporte de nouveau comme un être inorganique et ainsi nous révèle les secrets des deux mondes à la fois. Franz von Baader
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Les produits de la vision et de l’audition interne extériorisés de façon à revêtir le caractère de quasi perceptions, voilà ce que j’appelle automatisme sensoriel.
F.W.H. Myers
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Haruspicie, lire dans les entrailles des animaux : autre écran paranoïaque traditionnel de projection mentale. D’après José Pierre
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On peut systématiquement, à l’abri de tout délire, travailler à ce que la distinction du subjectif et de l’objectif perde de sa nécessité et de sa valeur.
André Breton
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Le mot subliminal qui signifie « ce qui est au-dessous du seuil » a déjà été employé pour désigner les sensations trop faibles pour être discernées individuellement. Je propose d’étendre ce terme, de façon à l’employer pour désigner tout ce qui se trouve au-dessous du seuil ordinaire ou, si l’on préfère, en dehors de la limite ordinaire de la conscience.
F.W.H. Myers
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Toute la faune de l’imagination et leur végétation marine, comme par une chevelure d’ombre se perd et se perpétue dans les zones mal éclairées de l’activité humaine. C’est là qu’apparaissent les grands phares spirituels, voisins par la forme de signes moins purs. La porte du mystère, une défaillance humaine l’ouvre, et nous voilà dans les royaumes de l’ombre. Un faux pas, une syllabe achoppée révèlent la pensée d’un homme. Il y a dans le trouble des lieux de semblables serrures qui ferment mal sur l’infini.
Aragon
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Au milieu du verger les arbres appartenaient à un autre âge et paraissaient familiers, comme ces êtres de cauchemar qui nous visitent lorsqu’on est enfant et auxquels on s’attache. Des arbres tordus avec d’anciennes blessures qui forment des cavités grimaçantes.
André Dhôtel
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Comment faire la différence entre le détail et l’ensemble ? Ce sont les détails mêmes qui font l’ensemble, qui font la beauté d’une forme. Giacometti
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Ici il y a une écriture, et quelqu’un qui n’est pas du monde a écrit des signes pour quelqu’un d’autre forcément. C’est plus éblouissant que la foudre. André Dhôtel
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Mais si brusquement vous rompez avec l’optique routinière, alors vous apercevez des réalités saisissantes qui recoupent notre monde. Il suffit que votre regard passe plus vite que d’ordinaire, ou même plus lentement, ou qu’il aille soudain de bas en haut ou en travers sans vous préoccuper de suivre les contours des arbres par exemple ou de percer leurs profondeurs. Non, n’ayez jamais un regard perçant. Dans les conditions que je vous dis, vous pouvez alors apercevoir de curieuses lumières aux formes presque humaines, parfois géantes, qui vont d’arbre en arbre ou de l’arbre au nuage ou encore descendent jusqu’au fond des eaux. André Dhôtel
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Sans doute le soleil, l’araignée et l’homme suivaient le même cheminement délicat où chaque instant était choisi avec le plus grand soin, comme les pensées d’une méditation.
André Dhôtel
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Dans un poème, Celan parle d’ « écriture d’ombre sur les pierres » on peut aussi parler de lithographie d’ombre. George Steiner
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Les spectres ne dorment pas, nos rêves sont leur nourriture. Heiner Müller
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Mais les ténèbres sont elles-mêmes des toiles
Où vivent, jaillissant de mon œil par milliers,
Des êtres disparus aux regards familiers.
Baudelaire
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Florilège de Tomas Tranströmer
Des vérités s’approchent l’une de l’autre. L’une de l’intérieur, l’autre de l’extérieur
et on a une chance de se voir en leur point de rencontre.
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… les ombres des arbres sont des chiffres obscurs.
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… un grouillement de gens, des figures qui jaillissent de la pierre.
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Des hommes, des monstres, des ornements.
Il n’y a pas de paysage. Des ornements.
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L’autre monde est aussi notre monde. Le lendemain matin, je vois une branche au feuillage mordoré, grésillant. Une souche reptile. Des visages aux rochers. La forêt est pleine de ces monstruosités restées à terre. Et que j’adore.
*
Je parcourais des livres de verre mais ne voyais que le reste :
les taches qui se pressaient à la surface du papier peint.
C’étaient les morts-vivants
qui voulaient qu’on fasse leur portrait.
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Les méduses … dérivent comme des fleurs après des obsèques en mer, lorsqu’on les retire de l’eau, elles perdent toute forme comme si l’on tirait de l’ombre une indicible vérité qui se formulait en gelée amorphe, elles sont en fait intraduisibles, elles ne peuvent que rester dans leur élément.
*
Que de bois recroquevillé ici ! Sur le toit, les tuiles antiques ont croulé partout les unes sur les autres (le dessin original qu’a altéré, au cours des années, la rotation terrestre)
Cela me rappelle quelque chose… j’y suis allé … attendez c’est dans l’ancien cimetière juif de Prague, là où les mots sont plus serrés que de leur vivant, les pierres serrées, serrées.
Que d’amour traqué ici ! L’écriture des lichens dans une langue inconnue sur ces tuiles qui sont les pierres tombales du ghetto de l’archipel, pierres effondrées et dressées
*
Mais là, sur la mousse, il y a des pierres.
L’une d’elles est précieuse.
Elle peut tout convertir :
elle sait faire briller l’obscurité.
C’est un commutateur pour le pays entier.
Tout y est raccordé.
La regarder, l’effleurer…
*
Des dialectes par douzaines dans la verdure.
*
Il y a un carrefour dans chaque instant.
La mélodie des distances y afflue, s’y retrouve.
Tout s’y confond en un arbre touffu.
Ou des villes disparues scintillent dans la ramure.
*
Des creux de brume au milieu de la forêt
qui doucement s’entrechoquent
L’inspiration qui vit cachée
et s’enfuit dans les bois comme Nils Dacke.
*
Une fumée constante – on brûle
les documents secrets de la forêt.
*
… la lumière qui s’attarde devient l’ombre d’une autre lumière. Khalil Gibran
*
Pas une feuille ne jaunit sans que l’arbre entier n’en soit silencieusement informé. Khalil Gibran
*
Au bord du promontoire rocheux
qui domine la vallée, devant l’ermitage,
il y a un vieux bois dur et mort
qui ressemble à une tête de grue
avec un dos de biche
et une poitrine de lézard
cet « un » qui n’a ni nom ni prénom
est le nom de ton visage avant ta naissance
et le corps originel
avant même la naissance de tes parents
essaie d’obtenir cet « un »
et règle le problème de la vie et de la mort…
(Propos d’un moine tiré d’un film de Bae Yong-Kyun)
*
Les merveilles de mimesis que l’on observe dans les représentations des bisons sur les parois de la grotte de Lascaux sont des sollicitations: il s’agit d’attirer la force brutale et obscure de l »être-là » du non-humain dans l’embuscade lumineuse de la représentation et de la compréhension. Toutes les représentations, jusqu’aux plus abstraites, impliquent un rendez-vous d’intelligibilité, ou du moins une atténuation de l’étrangeté, par l’observation d’une forme délibérée. George Steiner.
*
Sans les arts, la forme ne serait jamais rencontrée et l’étrangeté resterait sans voix dans le silence de la pierre. George Steiner
*
Il faut se saisir des éléments, flatter les pires des intempéries, provoquer les minéraux, débusquer les créatures secrètes, susciter l’étonnante implosion de toutes les matières sauvages…
Claude Tarnaud
*
Tout ce que j’ai perdu de la transparence du feu
et de la beauté violente des êtres
Se cache dans les pierres je le devine aux mots effacés
qui affleurent sur certaines d’entre elles parfois
Selon le pointillé des étoiles
Certain que la roche sous mes pas se brise
avec le crissement léger du givre
Jacques Lacomblez
*
Les objets se pénètrent entre-eux… Ils se répondent insensiblement autour d’eux par d’intimes reflets, comme nous par nos regards et nos paroles. Cézanne
*
L’unique souffle modèle toutes choses (Exposition « Pierres de lettrés »)
*
Florilège hugolien
Rien ne change de forme comme les nuages, si ce n’est les rochers.
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… l’entrevu ébauchant l’ignoré.
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Cette obscure décomposition des prodiges …
*
Où commence la destinée ? Où finit la nature ?
*
… de l’ombre qui éblouit, tel était ce lieu surprenant.
*
Regarder l’obscurité me dire : je suis un abîme comme toi.
*
Si rien avait une forme …
*
… quelque chose comme un masque qui devient un visage.
*
On avait devant les yeux une réalité empreinte d’impossible.
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Dans d’autres profondeurs, la goutte d’eau se fait monde.
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Aucun surnaturalisme mais la continuation occulte de la nature infinie.
*
Qui que vous soyez, vous avez en vous une prunelle fixée sur l’Inconnu.
*
… les petits drames de l’herbe.
*
L’inconcevable s’ébauche à quelques pas de vous avec une netteté spectrale.
*
Ô nature, alphabet des grandes lettres d’ombre.
*
Examinez, l’hiver, un arbre dépouillé de ses feuilles, et couchez-le en esprit à plat sur le sol, vous aurez l’aspect d’un fleuve vu par un géant à vol d’oiseau. (…) si l’on redresse par la pensée debout sur le sol l’immense silhouette géométrale du fleuve, le Rhin apparaît portant toutes ses rivières à bras tendus et prend la figure d’un chêne.
*
Quiconque s’enfonce dans le contraire du jour se sent le cœur serré. Quand l’œil voit noir, l’esprit voit trouble. Dans l’éclipse, dans la nuit, dans l’opacité fuligineuse, il y a de l’anxiété, même pour les plus forts. (…) Ombres et arbres, deux épaisseurs redoutables. Une réalité chimérique apparaît dans la profondeur indistincte. L’inconcevable s’ébauche à quelques pas de vous avec une netteté spectrale. On voit flotter, dans l’espace ou dans son propre cerveau, on ne sait quoi de vague et d’insaisissable comme les rêves des fleurs endormies. Il y a des attitudes farouches sur l’horizon. On aspire les effluves du grand vide noir. (…) Les cavités de la nuit, les choses devenues hagardes, des profils taciturnes qui se dissipent quand on avance, des échevellements obscurs, des touffes irritées, des flaques livides, le lugubre reflété dans le funèbre, l’immensité spectrale du silence, les êtres inconnus possibles, des penchements de branches mystérieux, d’effrayants torses d’arbres, de longues poignées d’herbes frémissantes, on est sans défense contre tout cela.
*
C’est au-dedans de soi qu’il faut regarder le dehors.
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La beauté n’est pas autre chose que l’infini contenu dans un contour.
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Cette végétation d’images et de formes a des racines dans tous les mystères. Ces fleurs prouvent la profondeur.
*
La pression de l’ombre existe.
Un indicible plafond de ténèbre; une haute obscurité sans plongeur possible ; de la lumière mêlée à cette obscurité, on ne sait quelle lumière vaincue et sombre ; de la clarté mise en poudre ; est-ce une semence ? Est-ce une cendre ? Des millions de flambeaux, nul éclairage ; une vaste ignition qui ne dit pas son secret, une diffusion de feu en poussière qui semble une volée d’étincelles arrêtées, le désordre du tourbillon et l’immobilité du sépulcre, le problème offrant une ouverture de précipice, l’énigme montrant et cachant sa face, l’infini masqué de noirceur, voilà la nuit.
*
D’innombrables piqûres de lumière rendent plus noire l’obscurité sans fond.
*
Cette lumière est un foyer, ce foyer est une étoile, cette étoile est un soleil, ce soleil est un univers, cet univers n’est rien. Tout nombre est zéro devant l’infini.
*
Rien ne laisse à l’âme une impression à la fois plus vague et plus poignante que les espèces de rêves qui se dégagent parfois de la réalité.
*
Il y a dans chaque planche un personnage ; il suffit de le faire naître. Ernst Ludwig Kirchnner,
*
Peut-être avons-nous peint sur notre propre peau, avec l’ocre et le charbon, longtemps avant d’avoir peint sur la pierre. En tous cas, il y a quarante mille ans, nous avons laissé des empreintes de mains peintes sur les parois des cavernes de Lascaux, Ardennes, Chauvet.
Le pigment noir utilisé pour peindre les animaux à Lascaux était fait de dioxyde de manganèse et de quartz ; et près de la moitié du mélange était du phosphate de calcium. Le phosphate de calcium est produit en chauffant l’os à quatre cent degrés Celsius, puis en le broyant.
Nous avons fabriqué nos peintures à partir des os des animaux que nous peignions.
Aucune image n’oublie cette origine. Anne Michaels.
*
Pour qui voit les choses avec quelque attention, on retrouve encore bien plus qu’on ne trouve. Flaubert à J. Cloquet
*
L’école de l’attente où l’on reste dehors sans piétiner. Fred Deux
*
Nous sommes hommes sans savoir comment; il est quelque chose en nous qui peut exister sans nous, et nous ne pouvons dire comment cette chose est entrée en nous. Thomas Browne
*
Envers moi
Éprouve la même compassion mélancolique que moi pour toi
Cerisier de la montagne
Hormis tes fleurs
Personne ne la connaît
Gyôson sôjô (XIIe s.)
*
Depuis jadis, nombreux sont les sites célèbres chantés et transmis par la poésie, mais les montagnes s’écroulent, les fleuves s’écoulent, les chemins changent, les pierres s’ensevelissent et se cachent dans la terre, les arbres vieillissent et se métamorphosent en jeunes arbres, de sorte que les temps se meuvent, les générations se succèdent les vestiges ne sont pas sûrs. Gyôson sôjô
*
Un statuaire jette l’œil sur un bloc de marbre; son imagination plus prompte que son ciseau, en enleve toutes les parties superflues, & y discerne une figure: mais cette figure est proprement imaginaire & fictive; il pourroit faire sur une portion d’espace terminée par des lignes intellectuelles, ce qu’il vient d’exécuter d’imagination dans un bloc informe de marbre. Un philosophe jette l’oeil sur un amas de pierres jettées au hasard; il anéantit par la pensée toutes les parties de cet amas qui produisent l’irrégularité, & il parvient à en faire sortir un globe, un cube, une figure réguliere. Qu’est – ce que cela signifie? Que quoique la main de l’artiste ne puisse tracer un dessein que sur des surfaces résistantes, il en peut transporter l’image par la pensée sur tout corps; que dis – je, sur tout corps? dans l’espace & le vuide. L’image, ou transportée par la pensée dans les airs, ou extraite par imagination des corps les plus informes, peut être belle ou laide: mais non la toile idéale à laquelle on l’a attachée, ou le corps informe dont on l’a fait sortir.
Quand je dis donc qu’un être est beau par les rapports qu’on y remarque, je ne parle point des rapports intellectuels ou fictifs que notre imagination y transporte, mais des rapports réels qui y sont, & que notre entendement y remarque par le secours de nos sens.
Diderot
*
‘Je cherche les notes qui s’aiment.’ ou ‘je mets ensemble les notes qui s’aiment.’ Mozart (enfant).
*
C’est donc sans les arrêter le moins du monde que les pierres laissent passer l’immense majorité des êtres humains parvenus à l’âge adulte. Mais ceux que par extraordinaire elles retiennent, il est de règle qu’elles ne les lâchent plus.
André Breton
*
Il n’est pas douteux que l’obstination dans la poursuite des lueurs et des signes dont s’entretient la « minéralogie visionnaire » agissent sur l’esprit à la manière d’un stupéfiant. André Breton
*
Tant il est vrai qu’on ne trouve que ce dont on éprouve en profondeur le besoin, et quand bien même un tel besoin ne trouverait à s’assouvir là que de manière toute symbolique. André Breton.
*
Je m’habituai à l’hallucination simple
Rimbaud
*
Il faut sentir à la racine des choses.
Roger Gilbert-Lecomte
*
La totalité cosmique n’est pas amorphe. Elle est un cristal total et chacune de ses parties est un cristal qui la reproduit totalement.
Roger Gilbert-Lecomte
*
(la pierre)
venue du temps
où elle n’avait qu’elle-même
pour compagnie
Guillevic
*
Le diable m’emporte si je ne me sens pas aussi sympathique pour les poux qui rongent un gueux que pour le gueux. Je suis sûr d’ailleurs que les hommes ne sont pas plus frères les uns des autres que les feuilles des bois ne sont pareilles: elles se tourmentent ensemble, voilà tout. Ne sommes-nous pas faits avec les émanations de l’univers ? (…) À force quelquefois de regarder un caillou, un animal, un tableau, je me suis senti y entrer. Les communications entre humains ne sont pas plus intenses. Flaubert à Louise Colet
*
Souvent, à propos de n’importe quoi, d’une goutte d’eau, d’une coquille, d’un cheveu, tu t’es arrêté immobile, la prunelle fixe, le cœur ouvert.
L’objet que tu contemplais semblait empiéter sur toi, à mesure que tu t’inclinais sur lui, et des liens s’établissaient: vous vous sentiez l’un contre l’autre, vous vous touchiez par des adhérences subtiles, innombrables. Flaubert
*
Tapi au fond des grottes, l’art pariétal, invisible, attend un rayon de lumière pour pouvoir s’exprimer…
Pour le contempler il faut parfois parcourir des centaines de mètres sous terre en apportant sa propre source de lumière.
Sans les techniques d’éclairage d’aujourd’hui, l’homme préhistorique devait surmonter ses peurs et faire le même chemin dans une obscurité angoissante…
Il utilisait parfois les aspérités des parois pour mettre en relief ses représentations…
Site hominidés.com
*
Le visible est un mental virtuel.
Bernard Noël
*
Comment dire cela ? Le geste qui ouvre le corps aux images, quand le doigt saisit la ressemblance dans un morceau de bois, ou l’ongle dans un éclat ?
Bernard Noël
*
Bosquets, feuilles et fleurs
Qui de la montagne même sont sortis
Dans la montagne même se dissolvent.
Milarepa
*
Le poème devient – à quelles conditions! – le poème de quelqu’un qui est en train – encore en train – de percevoir, qui est tourné vers ce qui est en train d’apparaître, et qui interroge cette apparition, lui adresse la parole; cela devient un dialogue – souvent c’est un dialogue désespéré. Paul Celan
*
Prendre les démons pour des démons, voilà le danger.
Les savoir vains, voilà le chemin.
Les comprendre « tels qu’ils sont », voilà la délivrance.
Les connaître comme père et mère, voilà leur fin.
Les admettre comme créations de l’esprit
Et ils se changent en ornements.
Ces usages ainsi connus, le Tout est libéré.
Milarepa
*
Lorsque Yüke peignait un bambou,
Il voyait le bambou et ne se voyait plus.
Su Shi
*
… et les animaux, si avisés, remarquent bien que nous ne sommes pas des êtres sûrs, qui se sentiraient chez eux dans le monde interprété. Rilke
*
Givre et neige ont beau refroidir ces rameaux,
Ils laissent éclater leurs désirs cachés.
Tronc noueux, branches dressées rabotées par les ans :
Cœur de vacuité relié à l’immémoriale origine.
Ensorcelé l’homme en vient à confondre bronze verdi et chair ardente !
Ebloui par milles gemmes naguères tombées du ciel,
Comment alors réprimer les cris qui jaillissent :
Hommes et fleurs participent de la même folie!
Shi Tao
*
Toute chose intensément regardée, tôt ou tard vous regarde à son tour. Dominique Fourcade.
*
Observer d’un angle différent les choses que l’on a tous les jours sous les yeux ou, mieux encore, à travers un verre grossissant, est souvent un moyen d’étudier le monde avec succès
Lichtenberg
*
Un même espace unit tous les être : espace intérieur du monde. En silence l’oiseau vole au travers de nous. Rilke
*
Cela
est proche
puisque
la substance en moi qui souffle
est
la même
que l’autre des lointains.
Du Bouchet : Ici en deux :
*
Les choses du ciel et de la terre sont un si vaste royaume, que seuls les organes réunis de tous les
êtres peuvent les appréhender. Goethe à Jacobi
*
L’homme n’est pas seul à parler,
l’univers aussi parle, tout parle,
langues infinies.
Novalis
*
Le monde jusqu’au bout n’a jamais été voilé. Dôgen
*
Toutes les choses terrifiantes ne sont peut-être que des choses sans secours qui attendent que nous les secourions. Rilke
*
Les arbres parlent la langue de personne
seuls nos rêves
s’y suspendent.
Christine Lavant
*
Homo itaque
quid habet commune
esse cum lapidibus
vivere cum arboribus
sentire cum animalibus
(…)
recte nomine universatis
exprimitur
Grégoire le Grand
*
En effet les spectres ne dorment pas
Leur nourriture préférée ce sont nos rêves. Heiner Müller
*
L’abîme devient visible à chaque brèche. Rabbin Joseph Ben Shalom de Barcelone
*
… et le nom que n’a rien
crée un (lieu ?) où la solitude est détruite. Roberto Juarroz
*
La beauté est la forme la plus aiguë (achevée) de l’épouvante. Léopardi
*
Toute cette fureur qui gronde dans le vide.
Robert Walser
*
La hiérarchie des créatures qui atteint dans la personne du Juste sa plus haute élévation, descend par multiples degrés dans les profondeurs de l’inanimé. Walter Benjamin
*
L’apparence ne fait peut-être que cacher
ce qui n’ose apparaître.
—
Rien ne se cache.
Rien non plus
ne se montre. Roger Munier
*
Notre visage n’est fait que de morts : le nez de votre arrière-grand-père, les yeux d’une aïeule dont vous ne connaissez pas le nom, et ainsi de suite. Les physionomies sont faites de collages de morts qui vivent en nous. Christian Boltanski.
*
… laissons les fragments s’assembler tout seuls
comme se soudent les os
comme se soudent les ruines
parfois l’épars précède l’entier
Roberto Juarroz
*
Il s’agit d’attirer la force brutale et obscure de l »être-là » du non-humain dans l’embuscade lumineuse de la représentation et de la compréhension. George Steiner.
*
Nous sommes de proches voisins de l’inconnu. George Steiner
*
Le vert des prés se mit à rire. Robert Walser
*
Pour qui voit les choses avec quelque attention, on retrouve encore bien plus qu’on ne trouve. Flaubert à J. Cloquet
*
Je n’ai vu monstre et miracle au monde plus exprès que moi-même. Montaigne
*
Omnibus in omnibus.
Athanase Kircher